L'orange du sultan
(Poème dit par Roger Christofol)
Sur un tapis de Samarkand
dans une coupe bleue,
une orange...
D’elle, le sultan ne sait rien.
Mais des oranges, il connaît tout :
La peau aux essences rubescentes
dont il s’enivre, dans son jardin secret
lorsqu’il respire le flot mouvant
de la chevelure favorite.
La chair moelleuse
dont sa bouche s’éprend
en la faisant sienne,
comme le corps de l’odalisque
frissonnant de plaisir.
Le nectar à la douceur acide,
couleur du sable couchant
qui rampe entre les dunes du désert.
Orange,
posée dans une coupe bleue
sur un tapis de Samarkand.
D’elle, il imagine...Des sensations,
des images, une illusion...
Il avance la main pour la saisir,
mais elle a disparu
emportée par le souvenir,
et le sultan au bord de son divan
pleure le parfum éperdu,
du désir sans cesse inassouvi.
En ce jardin
(Er Rachidia)
(Poème dit par Claude Gaudelette)
En ce jardin
de sable et de pierres
en cette nuit d'airain
aux portes du sommeil
constellées d'éclats
de lumière inviolée
j'attends...
j'attends l'Ineffable.
Est-ce lui que j'entends
murmurer dans le vent
qui chevauche libre, le désert ?
Ou bien lui encore
qui de sa main impalpable
aux doigts innombrables
fait glisser les grains furtifs
le long des palmiers rugueux ?
Est-ce lui qui chante
dans les broussailles
cet appel
sibyllin et envoûtant ?
En ce jardin
de sable et de pierres
en cette nuit d'airain
aux portes du sommeil
si près de l'éveil
j'attends...
j'attends l'Ineffable
Ô souffle du désert,
né du ventre des dunes
de qui es-tu le messager ?
Poème pour un pays martyr
(Poème dit par Roger Christofol)
Que sont devenus les jardins
embaumés du parfum des roses
et les vieux sages assis en leur centre
qui parlaient à Dieu ?
Où sont partis les rires légers
des jeunes filles, dans les rues et les allées
qui portaient bonheur
comme un talisman venu des étoiles ?
Nuit...Obscurité...Douleur...
Satan s’est réveillé d’entre les montagnes
et a jeté sur les villes et les vallées
ses hordes tristes de maléfices.
Triple ténèbres
du corps,
de l’esprit,
de l’âme.
Corps torturé, mutilé, dépecé,
pour avoir osé le plaisir.
Esprit muselé, interdit de parole
réservée aux prophètes du malheur.
Ame niée, vidée de sens,
pour être mieux vouée à la peur.
Pays martyr, en proie à la haine
celle des hommes qui ne veulent plus entendre.
Quand...Mais quand, reviendront
les matins légers de joie et de lumière,
la sagesse au parfum de rose
et le rire tendre des femmes ?
La chevelure des fées
(Poème dit par Roger Christofol)
Enfant, je me suis perdue
dans la chevelure des fées.
Dans leurs sentes blondes
aux mouvants paysages
en forme de mirages
je me promenais.
Dans leur forêt douce
aux odeurs de sève et de mousse,
je cherchais la fleur d’or,
que l’ombre subtile des arbres
me cachait,
dès que je m’en approchais.
J’écoutais le cristal argentin
du chant flûté
de l’oiseau au nom de destin.
J’étais songeuse et triste
sans rien y comprendre,
mais mon âme
tressaillait de douleur
et vivait avant moi
tous mes chagrins.
Je m’endormais confiante,
au creux d’épaisses racines,
mais des tempêtes
aux doigts de sorcières
me réveillaient.
Transie,
j’allais errante,
sans abri,
en des chemins étranges.
Enfant, je me suis perdue
dans la chevelure des fées
et jamais ne suis revenue
de ce lieu foisonnant de songes
où la vérité s’éveille en éclair
dans le silence trompeur
d’une paisible après-midi d’été.
L’ombre de l’aimé
(Poème dit par Roger Christofol)
A peine le temps d’un baiser
et toi si léger, tout allégé,
tu volais déjà, si loin de moi.
Mon cher amour, t’en souviens-tu?
avant de partir
tu m’as laissé ton ombre,
plus lourde que ton corps,
plus âpre que tes désirs.
Je l’ai gardée
elle qui me suivait
comme un chien perdu.
Mais qu’elle était pleine
de tes paroles,
avide de tes croyances
et si violente...
Alors de crainte,
un soir je l’ai emmenée
dans ce parc solitaire
où nous aimions tant
nous promener ensemble,
et dans la nuit, je l’ai perdue.
Depuis,
je n’ai plus de ses nouvelles.
Et toi, dis-moi, que deviens-tu?
Anges et ténèbres
(Poème dit par Annie Malochet)
Vous les anges, que faisiez-vous
lorsque les noires cohortes
venues des Ténèbres
sont entrées par effraction
dans le siècle ?
Où étiez-vous
lorsque de leurs tentacules avides,
elles broyaient les corps,
tourmentaient les âmes,
déchiquetaient la vie
comme un papier sale et usé ?
Entendiez-vous,
lorsque des brasiers de douleur
vers vous montaient
prières et suppliques
dans des cris d’agonie ?
En ces temps de cruauté indicible,
où les vivants étaient pétris
chair, os et esprit,
je n’ose croire,
que par indifférence ?
par impuissance ?
par obéissance !
vous contempliez
la face de Dieu,
pour mieux vous détourner
de tant de souffrance.
Répondez-moi !
Vous les anges, que faisiez-vous ?